Moussa

Au Soudan, on respecte plus les étrangers que nos frères. Ici, c’est l’inverse. À priori on s’écarte des étrangers, ou on s’en méfie. Enfin, pas tout le monde, mais beaucoup de gens.
La semaine dernière, je suis allé me promener à pied sur la voie verte qui longe l’Orne. J’ai croisé un couple âgé. Quand ils sont arrivés à mon niveau, ils ont accéléré le pas et fait un écart pour ne pas me frôler. J’ai vu le regard fuyant et inquiet à la fois que m’a lancé la dame.

Dans la rue, depuis que je suis en France, j’ai pris l’habitude de regarder d’abord les gens, leur expression, leur regard, avant de leur parler, de leur demander une adresse, un renseignement. Parfois ce n’est pas la peine d’essayer, ils seraient capables de fuir en courant !

Le dimanche, j’aime aller au marché et surtout regarder les livres des bouquinistes. Un jour, j’ai trouvé des livres sur Obama, un homme que j’aime et admire. La vendeuse s’est approchée, nous avons parlé de lui puis elle m’a demandé d’où je venais. Quand j’ai dit : « Du Soudan », j’ai vu son visage se fermer, brutalement, et elle s’est éloignée. Je suis allée vers elle et lui ai dit :
« Je suis musulman, c’est cela qui vous gêne ? » Elle n’a pas répondu. Je lui ai expliqué que je n’étais pas radical et je lui ai raconté mon histoire.

Au Soudan, les gens de notre ethnie sont pourchassés, arrêtés, torturés, tués par l’armée officielle, parce que nous sommes noirs et pas arabes. Le gouvernement veut entrer dans la Ligue Arabe, qui reproche à la population de n’être pas assez arabe. Alors l’armée veut éradiquer tous les non-arabes du pays. Pourtant nous sommes près de la moitié de la population ! C’est un véritable génocide. Pour y échapper, je viens en France, le pays de la démocratie et des droits de l’homme, et ici on me rejette parce que je suis musulman. Là-bas parce que je ne suis pas arabe : est-ce que j’ai une place quelque part ?
La vendeuse était rassurée et s’est remise à discuter avec moi. Maintenant je vais souvent voir les livres sur son stand et nous échangeons beaucoup. Je suis étonné : les gens ici ne savent rien de mon pays mais ils nous rejettent à priori. Par contre, ils sont prêts à changer d’avis quand on leur explique. C’est incroyable, non ?

Mais pendant tout mon voyage j’ai aussi rencontré des gens extraordinaires. Quand je suis arrivé à la frontière italienne, à Vintimille, je n’ai pas eu de chance. Nous sommes passés en France puis nous avons été arrêtés par la police qui nous a renvoyés en Italie. J’étais avec un petit groupe d’hommes et nous étions perdus parce que, tout autour de nous, il n’y avait qu’une autoroute et de grandes montagnes infranchissables.
Où aller ? Comment nous orienter, à pieds, fatigués et découragés comme nous l’étions, et sans parler l’italien ?
Nous avons rencontré une jeune femme, elle a pris le temps de nous conduire vers un chemin où nous pouvions marcher sans problème. Je suis revenu quelques jours après et j’ai réussi à passer la frontière sans être interpelé.

J’ai pris le train sans un sou en poche, donc sans billet. Dans l’est de la France, je me suis réfugié dans les toilettes quand j’ai vu arriver le contrôleur. Puis je suis revenu à ma place, à côté d’une dame qui m’a demandé gentiment qui j’étais. Nous avons beaucoup discuté.

Elle était très curieuse, ouverte, bienveillante. Elle m’a donné douze euros et des légumes, du chou et de la salade qu’elle avait dans un panier !

Au moment de partir, une demi-heure plus tard, elle m’a encore donné quarante-cinq euros en me disant « L’argent est pour tout le monde », ou quelque chose comme ça. Et puis elle m’a embrassé ! Sur le quai, je l’ai vue me faire un petit signe de la main.

Je venais d’arriver en France après bien des épreuves.
Cette dame, je ne l’oublierai jamais.

 

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