Quand je regarde une photo de moi il y un an, je me trouve tellement changée !
Je ne sortais jamais sans une écharpe sur ma tête, j’avais les cheveux et les sourcils teints, je me maquillais, beaucoup, comme toutes les Iraniennes de mon milieu : une couche de crème sur le visage, les sourcils noircis, du rimmel et du rouge sur les lèvres. Ici, plus rien : les cheveux au vent, le visage net ! Je me sens toute naturelle, libérée, simple et chic pourtant. Je suis comme je suis. Je n’ai pas besoin d’exhiber ma richesse devant les autres, avec mes bijoux en or, mon salon de luxe avec son grand écran plat, ma belle voiture... Je trouve que tout est plus simple en France.
Quand je jouais du violon dans l’orchestre national iranien, je recevais des ordres et j’entendais des commentaires d’un tas de gens, le chef d’orchestre mais aussi toute la cour qui gravite autour de lui et a toujours quelque chose à dire. C’était épuisant ! Ici, j’ai rejoint l’orchestre d’Hérouville et celui de Caen, tout est calme, chacun est à sa place, le chef est le chef et on l’écoute. Ça fait du bien, je me concentre mieux.
J’ai la chance que mon mari, iranien comme moi, ait une carte de séjour et un travail à Caen. Je me sens en sécurité avec lui qui est déjà intégré et a des amis. Mais, quand je suis seule, c’est autre chose. Il y a un an, je ne parlais pas le français. Un mois après mon arrivée, j’ai voulu retourner en bus à l’ENEFA* à Hérouville où j’étais allée une fois avec mon mari. Quand j’ai dit au chauffeur de bus où je voulais aller, il n’a pas compris. Il était aimable, il a sorti un plan d’Hérouville pour que je lui montre la rue. Je ne connaissais pas le nom de la rue, je ne comprenais rien au plan en français, aux noms des arrêts de bus. Plus il insistait pour m'aider, plus j’étais stressée. J’étais comme un animal traqué !
Je n’arrivais pas à maîtriser ma peur. Plus il était gentil et patient, plus j’avais honte de moi, d’être incapable de répondre à son attention. Quelle humiliation ! Et tous ces gens du bus qui nous regardaient sans dire un mot et qui perdaient leur temps à cause de moi ! Mon cœur battait de plus en plus vite, j’étais en sueur. Je me suis mise à pleurer, je ne savais pas quoi faire d’autre…
Quand je suis revenue chez moi, j‘avais la rage au cœur : si je voulais être respectée, il fallait que je communique avec les gens de ce pays, il fallait que j‘apprenne le français, tout de suite, vite ! Alors j’ai commencé ma course contre la montre : parler uniquement en français avec mon mari, acheter une méthode, lire, regarder la télévision.
Je me suis inscrite au conservatoire pour jouer du violon mais, là encore, le professeur m’a posé des questions que je ne comprenais pas. Il fallait que j’observe les gestes des autres musiciens pour comprendre les consignes données. Moi, la musicienne, j’étais comme sourde ! Le chef d’orchestre m’a demandé de jouer un air de mon pays, Cela m’a fait du bien, mais il me semblait que les gens m’écoutaient par curiosité, avec la tête, pas avec le cœur ! Comment partager une sensibilité, même musicale, si différente ? La musique, c’est encore un langage… Mais cela me passionne de chercher comment intégrer dans la musique classique d’ici des morceaux de musique iranienne, de chercher avec l’orchestre comment les croiser, les mettre en harmonie.
Ces séances de travail musical me font du bien. Je n’ai pas besoin de mots, je peux m’exprimer autrement. Pour le reste, je suis plutôt sauvage, je sors peu de chez moi, pour faire des courses, me promener, aller dans des lieux publics. Il faut dire que je n’ai pas de temps à perdre. J‘ai tout centré sur l’apprentissage du français et cela occupe tout mon temps. Je prends des cours à l’ASTI, je fais le tour des centres de formation comme l’ENEFA pour trouver tous les moyens d’accélérer mon intégration. Je travaille le français de huit à dix heures par jour. Maintenant, je comprends bien les autres. Je le vois avec les amis de mon mari que je rencontre, et j’arrive à me faire comprendre. Je suis tellement contente !
Je viens d’être admise aux cours de l’université, en vue d’obtenir le niveau B1. Mais je ne suis pas encore vraiment sûre de moi, j’ai encore peur de me retrouver dans l’inconnu.
Je sais que le parcours sera dur. En Iran, j’étais ingénieure en métallurgie. Aujourd’hui, je voudrais devenir dentiste, c’est mon rêve ! Je vais me battre, il faut que je réussisse à avoir le niveau en français pour passer les examens. Cela prendra le temps qu’il faudra, j’y arriverai.
Je suis déterminée à m'intégrer dans ce pays, j’aime y vivre, j’ai envie de mieux comprendre cette culture. Quand je regarde ma professeure de français, qui a l’âge de ma mère, je la trouve tellement plus gaie, plus active, plus sociale que la majorité des femmes de mon pays !
C’est ainsi que je souhaite vieillir : je veux donner cette image-là à mes enfants.