Préface

Dans le cadre de l’ASTI* (Association de Solidarité avec Tous les Immigrés) à Caen, où je remplaçais les professeurs de français en cas de besoin, et par l’intermédiaire du PIAF de la Guérinière (Point d’Insertion par l’Accueil et la formation), j’ai proposé aux apprenants migrants volontaires de me raconter leurs parcours. J’y voyais un double intérêt.
Pour eux, libérer une parole douloureuse et enfermée, tout en travaillant à l’expression de leur vécu dans cette langue, urgente à acquérir dans leur processus d’intégration. Porteurs d’une expérience et d’une parole transmissibles, ils pourraient ainsi exister dans ce pays.
Pour moi, j’avais à cœur de créer un lien avec ces étrangers en difficulté et de poursuivre cette quête commencée en Guinée en écrivant, avec le concours de ma fille, anthropologue sur le terrain, un livre qui tentait de donner la parole à ceux qui ne l’avaient jamais : les rescapés de l’épidémie Ebola**.
Par les temps qui courent, il me semblait par ailleurs urgent de faire connaître, par des lectures publiques et une publication, la réalité humaine de cette immigration dans son contexte géopolitique, réalité que trop de gens ignorent ou jugent à l’emporte-pièce. Dans ce pays des droits de l’homme, je crois qu’un fond d’humanité existe en chacun, mais qu’il doit être toujours réveillé.

Dès janvier 2017, j’ai rencontré à plusieurs reprises chacun des seize migrants volontaires dont le niveau d’expression en français oral allait de faible à assez aisé et qui ne maîtrisaient pas l’écrit. En mêlant souvent français et anglais, nous avons avancé. Je leur ai proposé une première transcription de leur récit, puis nous avons discuté, expliqué, rectifié, amélioré mes propositions, dans le but constant de rester au plus près des faits et du ressenti de chacun, d’où le choix de la première personne dans la narration.

 

Exercice délicat. Souhaitant que ces textes puissent être lus en captant l’intérêt du lecteur ou du public, il fallait chercher une traduction vivante, assez "littéraire" de ce qu’ils racontaient, tout en restant fidèle à leur parole.

Quelle expérience d’échange ! Et quelle émotion partagée au cours de notre dernier entretien, lors de la lecture définitive de leur histoire !
Leur rassemblement final autour de ce recueil, toutes cultures mêlées, la lecture que chacun a pu faire des récits des autres, ont été également les moments forts de ce projet.
Sept d’entre eux, seulement, ont obtenu leur permis de séjour. Je vois avec bonheur leurs progrès dans la langue, leur intégration et leur reconstruction progressives. Les neuf autres se débattent dans des formalités administratives et un quotidien souvent éprouvants mais ils continuent à s’accrocher et à croire qu’un jour cela paiera.
Faut-il rappeler que ces migrants ne sont qu’une infime minorité de la population de leur pays et que ceux qui partent le font dans l’urgence, politique, économique, sociale, personnelle ? Tous ceux que j’ai rencontrés sont des battants, prêts à tout pour avancer.
Je songe au parti que la France pourrait tirer de personnes qui ont montré cette capacité dans l’adversité…

Marie-Odile Laîné

 

* Tous les termes suivis d’un astérisque sont explicités en fin d’ouvrage.
** Ailleurs en Ebola, éditions l’Harmattan - 2016

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