Gundegmaa

Nous habitions à Selenge, une petite ville à l’ouest de la Mongolie. Mon mari travaillait dans une scierie, j‘étais factrice. Nous avions deux filles alors.

En 2003, mon mari est arrêté pour la mort accidentelle d’un ouvrier dans son usine. Il est emprisonné pendant un an, alors qu’il n’y a aucune preuve à charge contre lui. Il va être rejugé et risque quatre ou cinq ans de prison, car nous ne pouvons pas payer les sommes exorbitantes que le patron, de mèche avec la police, demande. C’est comme ça en Mongolie.

Mars 2004 : nous n’avons pas de solution. Mon mari ne veut pas passer cinq ans en prison. Nous décidons de partir. Pour que ce soit plus simple, nous n’emmenons avec nous que notre fille aînée Soyolmaa, qui a treize ans, et laissons la deuxième de dix ans, Soyolzul, à la garde de mes parents. Nous passons en Russie où nous obtenons un visa pour la Pologne, afin de pouvoir bénéficier de l’espace Schengen et aller en France.

Décembre 2004 : après neuf mois sur les routes, nous arrivons à Paris où nous demandons asile. On nous envoie à Dijon où le CADA nous accueille. Nous y restons deux ans. Ma fille est scolarisée. Je suis enceinte : Enkhjin nait le onze janvier 2006. Avec la loi Sarkozy, nous avons l’espoir d’être régularisés. Hélas, il nous manque deux mois pour bénéficier de la loi ! Nous recevons une obligation de quitter le territoire français. Mais notre bébé a sept mois et ma grande fille de quinze ans, qui est bien insérée à l’école, ne veut pas partir.

31 août 2006 : deux voitures de police avec six policiers viennent nous arrêter. Quatre cent cinquante kilomètres de route pour rejoindre le centre de rétention de Rouen... Nous y restons un mois et prenons un avocat pour un recours. Refusé. Nous ne voulons pas rester dans ce centre, ma fille aînée supporte mal l’enfermement et s’angoisse d’avoir interrompu l’école.

Décembre 2006 : nous décidons d’aller en Hollande. Là aussi notre demande d’asile est refusée car nous relevons de la loi Dublin, puisque nous avons été enregistrés en France d’abord. Nous avons cependant le droit de rester encore un an. Nous vivons dans un centre de réfugiés. Ma fille ne va plus à l’école, ne parle pas la langue. C’est très difficile.

Décembre 2007 : nous sommes au bout du rouleau. Que faire ? Nous repartons en France à Caen, mais notre demande d’asile est refusée car, nous dit-on, la Mongolie n’est pas en guerre, nous devons pouvoir y vivre. Ma fille, en tant que mineure, peut être intégrée dans un foyer où elle reprend sa scolarité.

Fin décembre 2007 : désemparés, nous suivons les conseils d’amis qui nous disent d’essayer la Suisse. Nous partons avec la petite, laissant sa grande sœur au foyer. Mais rien ne change. Nous revoilà dans un centre d’accueil de réfugiés dans une petite ville de la Suisse italienne. Le système y est très sécuritaire et réglementé : nous devons toujours avoir nos papiers en main, pour sortir, pour rentrer, pour circuler. Nous y restons presque deux ans.

25 mai 2009 : appel de Mongolie de mes parents paniqués. Notre seconde fille, qui a maintenant quinze ans, a disparu ! L’émigration suisse prend en charge notre billet de retour en Mongolie. Nous entamons des recherches avec la police. Soyolma avait l’habitude d’aller chez sa tante, à travers la montagne. Un homme l’a enlevée, lui promettant de l’emmener retrouver sa mère. Ma fille avait déjà des problèmes psychologiques depuis notre départ mais, là, nous la retrouvons très mal en point. Pendant deux mois, elle ne parle pas, pleure tout le temps et refuse d’accepter la présence de sa nouvelle petite sœur. Un médecin la suit. Nous restons un an et demi en Mongolie mais mon mari se cache, car il est toujours recherché, et nous sommes obligés de vivre chez mes parents. C’est une impasse et nous sommes désespérés.

Février 2011 : nous repartons avec nos deux filles. De nouveau, cinq jours de train pour rejoindre la Russie, puis une journée pour la Pologne. Et l’avion pour la France !
Comme nous sommes retournés en Mongolie, nous avons le droit de redemander l’asile. Ma fille aînée, qui est dans son foyer depuis 2007, ne veut plus quitter la France. Elle ne veut plus changer de lieux, de langue. Cette fois nous prenons un avocat et notre dossier de demande d‘asile est enfin accepté.

Avril 2017 : nous sommes depuis plus de cinq ans ici, mais n’avons pas obtenu la carte de séjour. Notre dernière fille est en CM2. Mon mari travaille dans la fabrication de manèges. Moi, je suis des cours de français et j’aide comme bénévole dans les permanences de l’ASTI. Mes deux filles aînées ont leur permis de séjour, l’une travaille dans un restaurant, l’autre dans un atelier de couture.
Nous continuons à demander notre régularisation, à essuyer refus sur refus, à faire des recours. Tous les ans il faut recommencer. La dernière réponse négative date de janvier. Comme mon mari est diabétique et fait du rhumatisme articulaire, nous avons monté un dossier médical. Heureusement, ma fille aînée travaille et nous héberge tous. Mais son mari n’a pas de travail, elle subvient aux besoins de toute la famille. Ce n’est pas une bonne ambiance, nous sommes tous stressés.
Le tribunal nous refuse le permis de séjour parce que rien ne nous oblige à rester ici, mais ce que nous avons vécu depuis quatorze ans, ce n’est rien ? Que faire maintenant ? Nous avons traversé tant de pays. Nous avons eu une troisième fille en France. Mes filles ne veulent plus être déplacées comme des objets, elles veulent rester ici. Aucun de mes enfants ne connaît plus son pays d’origine. Comment revenir en arrière ? Nous avons quitté la Mongolie il y a quatorze ans, ma petite fille ne connait que la France, s’y est bien intégrée, et il faudrait que nous repartions en Mongolie, avec mon mari malade en plus ! Nous pourrions partir, mon mari et moi, et laisser notre petite à la charge de ses sœurs, mais elle ne veut pas nous quitter et nous savons les dégâts que cette séparation pourrait créer, après ce que nous avons vécu avec notre fille laissée en Mongolie. La petite ne veut pas non plus quitter la France où elle est chez elle désormais. Nous sommes déchirés.

Que faut-il encore faire pour qu’on nous accepte ? Nous avons fait tout ce que nous avons pu pour nous en sortir, nous avons déplacé tout le monde, nous avons vécu comme des nomades, obligés de toujours recommencer, de vivre dans la précarité, dans des lieux nouveaux, avec des langues nouvelles, nous avons accepté n’importe quel travail.
Combien d’années faudra-t-il pour que la France nous régularise alors que nous sommes ici depuis si longtemps ? Ces papiers que l’on nous fait remplir tous les ans, sans jamais de résultat, sans que rien ne bouge, est-ce que cela a un sens ?
Notre dernier espoir est dans les élections qui vont avoir lieu. Peut-être le nouveau gouvernement fera-t-il une autre loi qui nous sera favorable ?

Sinon… Je ne sais pas…

Je suis vide.

 

Texte précédent Texte suivant


Ce billet est accessible à l’adresse suivante :
https://humains.lasauceauxarts.org/index.php?post/12